Comme certains initiés le savent sans doute déjà, un projet de modification des arrêtés dit « Valeurs absolues » est en cours. Ce projet vise à modifier la fiche « valeurs absolues » concernant les bureaux. Il a fait l’objet d’une première concertation fin 2023, et une seconde concertation est prévue dans les semaines qui viennent.
La modification dont il s’agit est d’importance. Il s’agit, en effet, de modifier les valeurs absolues pour les différentes sous-catégories de bureaux (« standard », « open space », « flex office », etc…), par rapport aux valeurs qui avaient déjà été fixées dans le cadre de l’arrêté « Valeurs absolues » du 24 novembre 2020. La modification proposée est à la baisse (c’est-à-dire, dans le sens d’un renforcement de la contrainte imposée aux assujettis), et d’importance :
- ainsi, pour la sous-catégorie « Bureaux standard », le seuil « valeur absolue » passerait (pour un usage « étalon ») de 107 kWh/m²/an à 87 kWh/m²/an ; soit une réduction de 18%
- pour la sous-catégorie « Bureaux open space », le seuil « valeur absolue » passerait (toujours pour un usage « étalon ») de 117 kWh/m²/an à 90 kWh/m²/an ; soit une réduction de 23%
Cette modification s’appuie sur un constat : les valeurs absolues telles que fixées dans l’arrêté d’origine (du 24/11/2020) l’auraient été, semble-t-il, sur la base de données incomplètes ; et les données recueillies sur Operat auraient mis évidence le fait que la performance des immeubles actuels serait en réalité meilleure que ce qui avait été imaginé au départ.
On peut évidemment gloser à l’envie sur le bien fondé des considérations qui ont poussé l’administration à proposer cette modification, en particulier se demander si les données Operat ne pourraient pas être « biaisées » (ceux qui remplissent les données sont souvent de « bons élèves »), ou incomplètes (par exemple, elles n’incluraient pas toutes les consommations privatives)…
Mais le fait reste : cette modification est « sur la table », et il s’agit d’une modification d’ampleur, qui peut profondément impacter les projets des opérateurs de l’immobilier de bureaux.
Concrètement, en effet, elle implique qu’un nombre important d’actifs « relativement performants », qui jusqu’à présent étaient « proches », voire en deçà du seuil de valeur absolue, vont désormais se voir imposer une réduction beaucoup plus importante de leur consommation, réduction qui pourrait aller au-delà de 20%. Ce sur une fenêtre de temps réduite : nous sommes début 2024, le projet de modification n’est pas encore validé, et si modification il y a, elle « vaudra » pour 2030. Or, pour identifier, étudier et évaluer, et mettre en œuvre des actions permettant de réduire de 20% la consommation d’un actif déjà « relativement performant » – alors même que rien, dans les arrêtés antérieurs, ne permettait d’anticiper qu’un tel effort serait nécessaire – une fenêtre de 5-6 ans, c’est très court. C’est d’autant plus court que les travaux d’économie d’énergie se font souvent à la faveur du remplacement d’équipements parvenus en fin de vie (c’est d’ailleurs souvent préférable, non seulement pour des raisons financières, mais aussi pour des raisons environnementales : mettre au rebut un équipement non amorti a un coût, CO2 notamment), et qu’il y aura désormais statistiquement peu de situations où la date de remplacement tombera « au bon moment » (c’est-à-dire entre 2024, et plutôt 2025 ou 2026 compte tenu des temps d’études préalables, et 2030).
Tout cela pour dire que ce projet de modification des valeurs absolues est, en pratique, inapplicable[1].
Il va, de facto, contraindre nombre d’assujettis à mettre en avant la « clause de modulation des objectifs », ce qui est une pente dangereuse : si on l’invoque pour ceci, pourquoi ne pas l’invoquer également pour cela ?
Plus largement, il risque de laisser penser que le dispositif entourant le décret tertiaire est – en plus de souffrir, comme nous l’avons déjà souligné ici, de deux « péchés originels » – « instable », et donc peut-être non pérenne…
Et donc, globalement, d’inciter les assujettis à l’immobilisme[2].
[1] On pourrait aussi rappeler qu’une réglementation ne peut être efficace que si elle est stable dans le temps ; et ceci vaut encore plus s’agissant de l’immobilier, qui raisonne sur des temps longs.
[2] Cette question autour de l’instabilité et du risque d’immobilisme avait déjà été abordée par nous ici.