L’échéance du 30 septembre 2022 approche, et, avec elle, la date limite pour déclarer l’année et les consommations de référence, telles que définies dans le décret tertiaire.
Cette année et ces consommations de référence représentent, pour les assujettis, un enjeu important. Il s’agit en effet du « point de départ » pour le calcul de l’objectif de consommation à l’horizon 2030 (puis 2040 et 2050), au moins pour tous ceux des bâtiments qui se placent dans l’objectif en valeur relative (parce que leur consommation est trop élevée par rapport à l’objectif en valeur absolue). Ces bâtiments représentent la grande majorité des bâtiments.
Alors que la date limite pour la déclaration approche, de nombreux assujettis et propriétaires se demandent si cette déclaration sera irrévocable, ou si, au contraire, il sera possible de la modifier par la suite.
Essayons de voir ce qu’il en est, en nous appuyant sur les textes.
Ce que disent le décret et les arrêtés
Le décret, comme l’arrêté du 10 avril 2020, ne disent rien sur les dates limite de déclaration de la référence. L’arrêté du 24 novembre 2020 précise quant à lui que : « les assujettis […] peuvent déclarer leur consommation énergétique de référence jusqu’au 30 septembre 2022 », sans précision complémentaires quant à la possibilité de modifier, postérieurement, cette déclaration.
Ce que disent les FAQs OPERAT
On le rappelle, les FAQs OPERAT sont le forum mis en ligne avec la plate-forme OPERAT, et répondant à un certain nombre de questions autour de la mise en application du décret tertiaire. Les FAQs sont accessibles sur le lien suivant
Point 1
A la fin de DC7 Q1, on trouve ce qui suit :
En cas de changement de nature d’une activité tertiaire dans un bâtiment, une partie de bâtiment ou un ensemble de bâtiments assujettis le niveau de consommation de référence initial est conservé.
Toujours dans DC7 Q1, on trouve :
En ce qui concerne le droit à l’erreur, sur cette consommation énergétique de référence, celui-ci ne vaut que pour le choix d’un primo assujetti d’une année de référence comprise entre 2010 et 2019 si son activité préexistait, ou à sa première année pleine d’exploitation. Les données relatives à cette consommation énergétique de référence pourront ainsi être corrigées si des erreurs ont été relevées par l’assujetti.
C’est flou ; on a l’impression qu’il y a un « droit à l’erreur », mais que celui-ci est restreint, et on n’arrive pas à cerner la portée de ces restrictions. Si le texte mentionne explicitement la possibilité de corriger des erreurs relatives à la consommation énergétique, la possibilité de corriger l’année de référence elle-même n’est pas clairement évoquée ou caractérisée.
Point 2
On relève également ce passage dans QA8 :
Il n’y a aucun lien entre locataires successifs, en dehors de la reprise de la consommation énergétique de référence initiale pour déterminer l’objectif en valeur relative assignée à chacun des exploitants du local tertiaire. Pour rappel, les dispositions prévues sur ce sujet sont précisées au 1° de l’article R. 174-24 du CCH.
et, toujours dans QA8 :
Le nouveau locataire, s’il mène une activité tertiaire, son propriétaire devra l’informer de ses obligations au regard d’Éco Énergie Tertiaire et lui avoir transmis la dernière attestation annuelle ainsi que l’identifiant unique bâtimentaire de l’entité fonctionnelle afin que son locataire puisse se déclarer sur OPERAT et récupérer, le cas échéant, la consommation de référence du local tertiaire correspondant.
Ces passages suggèrent qu’un locataire nouvel arrivant doit reprendre « la consommation énergétique de référence initiale ». Ce qui irait dans le sens d’une reconduction par défaut de l’année de référence, sans possibilité de la modifier.
On peut comprendre la raison d’être d’une telle disposition : il s’agit en effet de faire en sorte qu’un assujetti nouvellement arrivé ne puisse pas modifier « arbitrairement » l’année de référence, pour réduire indument le poids de ses obligations.
La modification de l’année de référence serait donc traitée différemment de la modification des modulations d’objectif quant à la possibilité de la modifier une fois la première déclaration faite :
- L’année de référence se réfère en effet au passé, un passé qui est réputé connu et maîtrisé par l’assujetti ; une fois qu’elle est fixée, il n’y donc pas de raison – sauf si erreur il y a eu – de la modifier
- La modulation des objectifs, au contraire, concerne les actions futures, et donc il est normal qu’elle puisse faire l’objet d’ajustements renouvelés, en fonction des circonstances et des études prospectives réalisées par l’assujetti (voir article 6 de l’arrêté du 10 avril 2020)
Tout ceci, on l’imagine, va dans le sens d’une limitation, ou au moins d’un encadrement strict, de ce qui est défini comme un « droit à l’erreur »… et donc, concrètement, de la possibilité de modifier l’année de référence, une fois la première déclaration faite.
Point 3
Dans O7, on note que : Dans un contexte d’évolution de l’activité les données qui sont renseignées sur la plateforme OPERAT peuvent concerner […]. [Concernant] l’année de référence : Pas de modification à l’exception des bâtiments neufs à l’issue de la phase de mise en service
Ainsi, les données relatives à l’année de référence ne seraient pas modifiables sur la plate-forme OPERAT.
Conclusion
L’analyse rapide qui précède nous indique que, selon toute probabilité – et sous réserve que notre investigation soit suffisamment complète -, il ne sera pas possible de modifier l’année de référence postérieurement à la déclaration de septembre 2022, sauf, éventuellement, exercice d’un droit à l’erreur sans doute strictement encadré.
Ce qui est certain, c’est que :
- Nous n’avons pas trouvé d’indication claire que la possibilité existera de corriger l’année de référence postérieurement à 2022
- Et donc, qu’il est risqué – de la part d’un assujetti, ou d’un propriétaire – de faire l’hypothèse que cette possibilité existera
Quel impact pour les propriétaires ?
Cette situation où la possibilité n’existerait pas de corriger l’année de référence postérieurement à 2022 présente, pour le propriétaire, un risque :
- Un locataire pourrait en effet avoir la tentation, surtout si il se sait partant avant 2030, de choisir l’année de référence la « plus simple » pour lui, sans égard pour les conséquences par rapport aux obligations issues du décret et pesant sur l’actif à l’horizon 2030 ; obligations qui, au moment de son départ, se transfèreront de facto sur le propriétaire, lequel propriétaire aura peu de temps pour se conformer aux obligations du décret, et peu de recours pour se retourner vers son ancien locataire -> on retrouve ici, en substance, ce qui avait été présenté dans mon article de février dernier
- Par exemple, imaginons un locataire arrivé, mettons, vers 2018, après une phase de travaux ayant eu un impact sensible sur la consommation d’énergie. Ce locataire, si il se voit partant en 2027 (fin de bail), pourrait, pour se simplifier la vie, déclarer comme année de référence l’année 2019 ; alors que l’intérêt du propriétaire serait évidemment de prendre une année de référence antérieure aux travaux
Pour cette raison, il est risqué, pour un propriétaire de se désintéresser complètement de ce que fait le locataire en matière de déclaration sur OPERAT. Même si, dans le même temps, la loi ne donne au propriétaire aucun moyen concret de contrôler – autrement que par la négociation – les déclarations de son locataire.
Relevons, à ce propos, ce que dit la FAQ dans DC9 : « En cas de fausse déclaration, donc de défaut de renseignement, l’année de référence correspondra à la première année pleine d’exploitation dont les consommations sont remontées sur la plateforme OPERAT [c’est-à-dire, 2019] », qui montre que, en cas de « légèreté » de la part d’un locataire, le propriétaire peut se voir (en pratique) privé de la faculté – qui lui offre (en théorie) la loi – de choisir une année de référence optimale entre 2010 et 2019…
Quel impact pour les assujettis – cas de la logistique et du commerce ?
Comme nous l’avons indiqué dans un de nos précédents articles, l’absence, dans le projet d’arrêté « Valeurs Absolues II », de tableaux de valeurs absolues pour les secteurs de la « logistique température ambiante », du « commerce », et des « centres commerciaux », ne permet pas aux assujettis de ces domaines d’activité de sélectionner leur année de référence en connaissance de cause.
Si, comme le suggèrent les lignes qui précèdent, ils ne peuvent pas non plus, postérieurement au 30 septembre 2022, modifier leur année de référence – par exemple pour tenir compte des éléments attendus dans l’arrêté « Valeurs absolues III », prévu fin 2022 -, ils risquent de se trouver (en pratique) « bloqués » avec une année de référence « sous-optimale », alors même que la loi leur donne (en théorie) le droit de choisir librement l’année de référence entre 2010 et 2019.
Réserves d’usage
Les conclusions du présent articles sont expressément sous réserve
- (i) que les analyses qui précèdent soient correctes et qu’elles soient visées par un juriste (ce que l’auteur du présent article n’est pas)
- (ii) qu’il n’existe pas de texte validé contraire et qui aurait échappé à son attention…