De récents échanges avec des partenaires ont amené l’auteur du présent article à s’interroger sur la latitude dont disposent les assujettis aux obligations du décret tertiaire pour choisir l’année de référence de leur bâtiment.
Sujet d’actualité s’il en est – au moins pour le petit monde de l’immobilier – alors que les échéances approchent ; sujet aiguisé, aussi, par les difficultés que rencontrent de nombreux assujettis à (re)trouver des « preuves », opposables à l’administration, de leur consommation passée.
A ces difficultés s’ajoute cette question, récemment alimentée par quelques mots du ministère, dans la vidéo ci-après : https://playback.lifesize.com/#/publicvideo/8223bc33-070b-4563-af20-971b8a9c83be?vcpubtoken=89406513-b7d1-45d6-9b43-1be642302351 (vers la minute 23 de la vidéo).
Cette question, c’est la suivante : « l’assujetti peut-il déclarer comme année de référence une année antérieure à son arrivée dans l’immeuble ? » ; par exemple, s’il s’agit d’un propriétaire, peut-il déclarer une année de référence antérieure à la date à laquelle il a acquis l’immeuble ; et s’il s’agit d’un locataire, peut-il déclarer une année de référence antérieure au début de son bail.
Cette question n’est pas anodine : si en effet la réponse était négative, alors cela impliquerait que l’arrivée du propriétaire ou du locataire se traduirait par une « remise à zéro » des compteurs d’économie, car il ne serait alors pas possible de tenir compte des éventuelles actions d’économie d’énergie réalisées antérieurement à cette arrivée. Or la loi indique que devraient être éligibles au titre des économies prises en compte toutes celles réalisées postérieurement à l’année 2010 (sous réserve que l’on dispose de « preuves acceptables » de la consommation passée) ; une réponse négative « effacerait » donc, sur de nombreux actifs, tout ou partie des économies réalisées au cours de la dernière décennie, en particulier par des propriétaires ou locataires « engagés dans la sobriété énergétique » (et il y en a !).
Le propos du présent article n’est certainement pas de fournir une réponse autorisée à cette question, l’auteur n’en ayant ni la compétence, ni l’autorité. Il est simplement de développer une argumentation dans le sens qui, du point de vue de l’auteur, semble le plus conforme à l’intention de la loi. Dans l’attente d’une validation définitive, dans un sens ou dans un autre.
Ce que dit le ministère
L’écoute du segment de la vidéo susmentionné appelle les observations suivantes :
- globalement, ce que dit le ministère sur le point qui nous intéresse est flou
- ce que l’on entend, c’est qu’un locataire d’arrivée récente pourrait « ne pas pouvoir » déclarer d’année de référence antérieure à son arrivée ; mais ce qu’on ne sait pas, c’est si cette expression « ne pas pouvoir » se réfère
- (i) au fait qu’il « n’a pas le droit » de déclarer une année de référence antérieure à son arrivée,
- ou (ii) au fait qu’il « n’a pas la possibilité (car n’ayant pas accès aux données de consommation antérieures à son arrivée) »
- -> en écoutant la vidéo, on ne parvient pas à savoir si il faut interpréter dans le sens (i), ou dans le sens (ii).
En d’autres termes, selon l’auteur du présent article, la vidéo ne tranche pas le sujet. Par ailleurs, il ne s’agit que d’une vidéo, elle n’a donc, bien évidemment, aucune valeur juridique. Nous sommes donc conduits à analyser les textes de loi dont nous disposons.
Le texte de la loi
Si l’on se réfère maintenant au texte de la loi ELAN, on observe ce qui suit :
Dans l’article Art. L. 111-10-3.-I., la loi indique que « Des actions de réduction de la consommation d’énergie finale sont mises en œuvre dans les bâtiments, parties de bâtiments ou ensembles de bâtiments à usage tertiaire […] afin de parvenir à une réduction de la consommation d’énergie finale de […] par rapport à 2010. ».
L’objectif premier de la loi, tel qu’on le comprend, est de réduire la consommation d’énergie par rapport à 2010.
Les questions soulevées par la présence éventuelle de locataires n’est abordée que dans un second temps, en ce qui concerne les moyens pour atteindre l’objectif. Cette question des moyens est abordée que dans l’article Art. L. 111-10-3.-II..
Cette seconde partie de la loi comporte le texte suivant : « Les propriétaires des bâtiments ou des parties de bâtiments et, le cas échéant, les preneurs à bail sont soumis à l’obligation prévue au I pour les actions qui relèvent de leurs responsabilités respectives en raison des dispositions contractuelles régissant leurs relations. Ils définissent ensemble les actions destinées à respecter cette obligation et mettent en œuvre les moyens correspondants chacun en ce qui les concerne, en fonction des mêmes dispositions contractuelles. Chaque partie assure la transmission des consommations d’énergie des bâtiments ou parties de bâtiments la concernant pour assurer le suivi du respect de son obligation. »
Point 1
Si on analyse ce dernier texte, on peut tout d’abord relever une question à propos de l’expression « la concernant » : les consommations d’énergie « concernant » le locataire sont elles
- (i) les consommations payées par le locataire ?
- (ii) ou bien sont-elles les consommations d’énergie permettant « d’assurer le suivi du respect de son obligation » ?
Manifestement, le texte de la loi penche pour l’option (ii), car le but de la transmission est bien de vérifier que le locataire respecte son obligation (de mise en œuvre d’actions d’économie d’énergie) ; les rédacteurs du décret, cependant, ont opté pour la réponse (i), qui n’est, selon l’auteur du présent article, pas alignée avec le texte de la loi.
Prenons un exemple : imaginons un immeuble où l’intégralité de la responsabilité des actions d’économie d’énergie pèse sur le propriétaire (par exemple un entrepôt logistique sans matériel locataire consommateur d’énergie, et éclairé et chauffé en permanence par des équipements appartenant au propriétaire et gérés par lui). Dans ce cas, ce devrait être le propriétaire qui devrait assurer l’intégralité de la transmission des consommations d’énergie, puisque, selon le texte de la loi, cette transmission a pour objectif d’assurer le suivi du respect de son obligation.
Pourtant, ce n’est pas ce que prévoit le décret, qui indique que le locataire doit rapporter, non seulement sa consommation privative, mais également la part de la consommation parties communes qui lui est affectée…
Point 2
Ce qui subsiste, néanmoins, c’est bien que la transmission des consommations d’énergie est, du point de vue de la loi, un moyen pour atteindre l’objectif (qui est de faire en sorte que soit réduite la consommation de l’immeuble entre 2010 et 2030, que chaque partie y concoure selon ses obligations contractuelles – et, en corolaire, de s’assurer de la réalité de cette réduction).
Et ce qui semble évident sur un plan logique, c’est que un moyen ne devrait pas, par principe, être contraire à l’objectif. Au contraire, le moyen est subordonné à l’objectif (toujours par principe).
Il en résulte qu’il n’est pas tenable, toujours sur le plan des principes, qu’un moyen – par exemple, le fait que l’obligation de déclaration d’une année de référence pèse sur le locataire – fasse obstacle à un objectif, du fait que ce même locataire n’aurait pas la faculté légale de présenter des consommations d’énergie antérieures à son arrivée, alors même que des preuves de telles consommations (par exemple, des relevés de consommation des locataires antérieurs) pourraient être disponibles, et que des actions d’économie d’énergie auraient été réalisées.
Selon l’auteur du présent article, donc, la logique de la loi est que l’on peut, au niveau de l’immeuble, déclarer une année de référence en remontant jusqu’à 2010, dès lors que l’on disposerait des preuves demandées par la loi, et ce indépendamment des dates d’arrivée des locataires (et du propriétaire).
Si tel n’était pas le cas, c’est-à-dire si un locataire (ou un propriétaire) ne pouvait pas déclarer d’année de référence antérieure à son arrivée, cela viderait la loi de son sens pour tous les immeubles dont les locataires (ou propriétaires) sont arrivés récemment, c’est-à-dire pour une part importante du parc. In fine, cela pénaliserait particulièrement les propriétaires « engagés », c’est-à-dire ceux qui, de longue date, ont mis en œuvre des actions d’économie d’énergie, ou ont pris soin d’acquérir des immeubles dont la performance énergétique était bonne. On conviendra, a minima, qu’une telle politique publique serait difficilement défendable, car elle pénaliserait les vertueux et favoriserait ceux qui ne le sont pas…
Les texte du décret et des arrêtés
Si l’on se réfère au décret lui-même, on relève, dans l’article Art. R. 131-41, la phrase suivante : « le propriétaire et, le cas échéant, le preneur à bail déclarent […] l’année de référence mentionnée au 1o de l’article R. 131-39 et les consommations de référence associées, par type d’énergie, avec les justificatifs correspondants ». Le texte ne mentionne aucune restriction, ni concernant le propriétaire (qui devrait donc pouvoir déclarer des consommations antérieures à son acquisition, si il dispose des preuves), ni concernant le locataire (qui devrait donc également pouvoir déclarer des consommations antérieures à sa prise de bail, là encore sous réserve qu’il dispose des preuves).
On peut également relever, dans l’arrêté du 24 novembre 2020 (Art 1er, II.), le texte suivant : « Pour les entités fonctionnelles qui comprennent d’autres activités ne relevant pas du secteur tertiaire assujetti et qui ne bénéficient pas pour l’année de référence de données de consommations d’énergie différenciées entre les locaux d’activités tertiaires assujettis et les autres locaux d’activités non assujettis, la consommation énergétique de référence des locaux tertiaires assujettis peut être reconstituée. Cette reconstitution de consommation énergétique de référence s’établit sur la base de la caractérisation de la situation existante et sa comparaison avec des données d’activités historiques. La situation existante peut être déterminée à partir d’une campagne de mesures sur une durée suffisamment représentative, de sous comptage mis en place de façon pérenne, ou à défaut par une simulation dont les données sont justifiées. La comparaison avec les données d’activités historiques s’appuie notamment sur la proportion des activités tertiaires assujetties et des autres activités non assujetties, sur la base d’indicateurs représentatifs des activités respectives, pour la situation existante et pour l’année de référence choisie. », texte qui suggère que l’administration n’est pas « outrancièrement formaliste », et est, sur le principe, ouverte à des preuves « raisonnables », dès lors que celles-ci vont dans le sens de l’objectif (à savoir, prouver la réalité d’une économie réalisée depuis 2010).
Ce que disent les FAQs de la base Operat
Les FAQ de la base OPERAT (voir ici) nous donnent quelques indices.
On relève, ainsi, dans la réponse à la question A13, le passage suivant : « L’exploitant du local tertiaire, qui demeure le primo-assujetti, peut s’appuyer sur l’assistance du propriétaire du local pour reconstituer une consommation énergétique de référence par l’application des ratios de consommations des parties exploitées ou mieux encore sur la base de la consommation énergétique du précédent exploitant du local tertiaire avant l’entrée opérationnelle du dispositif Éco Énergie Tertiaire.
Dans ce cas, le propriétaire de ce local devrait s’enquérir des consommations d’énergie du (des) dernier(s) exploitant(s) pour les communiquer au nouvel exploitant « primo assujetti » afin qu’il puisse renseigner la plateforme OPERAT :
- D’une part pour s’appuyer éventuellement sur cette consommation énergétique pour la définition de l’objectif exprimé en valeur relative (Cf. 1 du I de l’article R. 174-23 du code de la construction et de l’habitation) ;
- D’autre part pour respecter la transmission des informations relatives à l’évaluation du respect de l’obligation en cas de vente ou en cas de location (Cf. II de l’article L. 174-1 du code de la construction et de l’habitation et dernier alinéa de l’article R. 174-31 du même code).
Les propriétaires pourront à cet effet soit se rapprocher des derniers occupants pour obtenir ces informations, soit se rapprocher des gestionnaires de réseaux de distribution (Enedis, GRDF, etc…) en leur demandant la dernière année de consommation énergétique pour chacun des compteurs dont ils détiennent la référence après avoir obtenu l’autorisation du(des) précédent(s) exploitant(s). »
Ce passage nous indique qu’il est acceptable, pour l’exploitant d’un local tertiaire, de s’appuyer sur la base de consommation énergétique d’un précédent exploitant.
On relève aussi, au passage, le rôle important du propriétaire pour assurer la transmission, à l’exploitant actuel, des consommations antérieures ; ce qui renforce cette idée, déjà développée dans une précédente contribution (voir ici) que c’est in fine le propriétaire qui est responsable de la mise en conformité de son bâtiment aux exigences du décret tertiaire.
Conclusion
L’auteur du présent article n’a donc pas connaissance de texte validé (loi / décret / arrêté) indiquant qu’un locataire n’a pas le droit de déclarer une année de référence antérieure à son arrivée ; au contraire, tout le porte à conclure que, sous réserve qu’il dispose des preuves, un locataire (et un propriétaire) peut déclarer une année de référence antérieure à son arrivée (en tenant compte, bien sûr, d’éventuelles évolutions des indicateurs d’usage).
Cette conclusion est expressément sous réserve
- (i) que les analyses qui précèdent soient correctes et qu’elles soient visées par un juriste (ce que l’auteur du présent article n’est pas)
- (ii) qu’il n’existe pas de texte validé contraire et qui aurait échappé à son attention…