Le 17 mai, le ministère a diffusé, pour discussion, un projet d’arrêté modificatif de l’arrêté du 10 avril 2020, relatif aux obligations d’actions de réduction des consommations d’énergie finale dans les bâtiments à usage tertiaire, obligations telles que résultant du « décret tertiaire ».
Ce texte, beaucoup plus complet que le précédent, comporte désormais une segmentation exhaustive des différentes activités concernées par le décret, et propose, pour chaque « activité », un « tableau de calcul » de l’objectif en valeur absolue.
Beaucoup de choses sont sans doute à dire sur ce texte ; nous nous bornerons, dans le présent article, à relever deux points.
Point 1 : pour certaines activités, les « tableaux de calcul » sont encore sommaires et incomplets. Ainsi, pour la logistique « à température ambiante », le tableau ne fournit qu’une liste incomplète d’indicateurs d’intensité d’usage, et ne propose aucune règle de calcul de l’objectif en fonction de ces indicateurs. En outre, la valeur proposée pour l’objectif est très basse : 10 kWh/m²/an, soit, en ordre de grandeur, 1 €/m²/an, ce qui est très inférieur à la consommation observée en réel, même sur des actifs très performants.
Point 2 : malgré tout, le ministère semble vouloir aller très vite. Il demande un retour incluant des données de « consommation d’énergie de bâtiments performants » d’ici le 1er juin, date à laquelle le texte sera mis en consultation publique. Par ailleurs, l’intitulé du projet d’arrêté lui-même semble suggérer que l’intention du ministère est de finaliser l’arrêté pour le mois de juin 2021… ce qui laissera très peu de temps pour la concertation, et encore moins pour l’analyse technique !
Nous le voyons donc, le risque existe que des tableaux sommaires et incomplets soient entérinés.
Quelles seraient les conséquences concrètes ?
On pourrait tout d’abord s’indigner de ce que les objectifs en valeur absolue sont « inaccessiblement » en deçà de la réalité. Mais ce fait n’est pas si impactant que cela, car, si l’on en juge par les valeurs déjà proposées pour les activités de type « bureaux » par exemple, les objectifs en valeur absolue seront de toutes façons « ambitieux », de sorte que la plupart des bâtiments seront contraints de réduire leur consommation de 40% pour 2030, de 50% pour 2040, et de 60% pour 2050. Et donc, le fait que les objectifs en valeur absolue soient bas, versus « inaccessiblement » bas, ne changera rien à l’affaire pour ces bâtiments-là.
Le sujet principal n’est donc pas là.
Il est plutôt la conséquence de l’absence de règle de calcul des objectifs en valeur absolue en fonction d’un ensemble raisonnablement représentatif d’indicateurs d’intensité d’usage. En effet, les règles de calcul proposées dans ces tableaux sont utilisées, non seulement pour le calcul des objectifs en valeur absolue, mais aussi pour le redressement des objectifs en valeur relative – objectifs qui, comme nous venons de le souligner, concerneront la grande majorité des bâtiments.
L’absence de telles règles de calcul pour la logistique « à température ambiante » implique donc qu’il n’y a pas de règle de redressement des objectifs en valeur relative pour cette activité.
Concrètement, et dans le domaine de la logistique, ce point est très important.
En effet, nous le savons, les usages des bâtiments logistiques évoluent rapidement : les sites logistiques ne sont plus seulement des lieux de stockage ou de redistribution de flux, ils deviennent des lieux de création de valeur ajoutée ; et leur usage s’intensifie. Ceci a plusieurs conséquences :
- Les horaires de fonctionnement des plates-formes s’étendent
- Les salariés, plus nombreux et plus qualifiés, ont des exigences de confort accrues
- Les flux augmentent
Ces évolutions ont des impacts directs, et considérables sur la consommation d’énergie :
- Des horaires plus étendus peuvent entraîner une consommation d’éclairage multipliée par 2, 3 ou 4
- Des exigences de conforts plus fortes peuvent se traduire par des consommations de chauffage également multipliées par 2 ou 3 (et on ne parlera pas, ici, des consommations supplémentaires induites par la nécessité, dans un futur proche, d’assurer un confort été minimal en période de canicule)
- L’augmentation des flux (et la mécanisation) impliquent que la consommation d’énergie liée au convoyage des biens est multipliée d’autant
On le voit, ces évolutions conjuguées sont de nature non pas à augmenter la consommation de quelques %, mais bien à la multiplier par 2 ou 3.
De sorte que l’absence, soulignée plus haut, de règles de redressement des objectifs en valeur relative risque de rendre ces objectifs tout simplement inatteignables en pratique !
(Et sans que l’on sache pour autant si les propriétaires ou exploitants concernés pourront se prévaloir des clauses du décret relatives à la possible modulation des objectifs « en raison des coûts manifestement disproportionnés des actions par rapport aux avantages attendus » – voir Art. R. 131-40, III du décret)
A suivre, donc…